Vierges Noires

Internet regorge de thèses concernant les Vierges Noires. Je ne prétends pas ici apporter une idée définitive de ce qu’elles sont… simplement, j’éprouve une attirance forte pour elles et j’ai le besoin de comprendre d’où cela me vient, ce que cela veut dire pour moi. Et pour cela, je trouve nécessaire de faire le tri entre tout ce que j’ai pu lire, de mettre en mots le tas d’informations que je reçois sur Elles.

 

 

Elle et moi

Huguenote élevée en Alsace, autant dire que je n’avais jamais entendu parler des vierges noires (et très peu de la Vierge en générale d’ailleurs !) C’est en arrivant sur le site de Rocamadour il y a 8-9 ans que j’en découvre une ! J’avais été attiré par ce site par simple hasard (mais étrangement peu de temps après la naissance de mon premier enfant). L’énergie que nous avions tous ressentis là-bas, nous avait fait une forte impression. Mon mari et moi, parlions souvent d’y retourner. En février dernier, l’envie était trop forte et sur un coup de tête nous y revenions.

L’énergie puissante et paisible à la fois (“une douce force”) était toujours là, à nous entourer et à provoquer, chez moi, des phases méditatives involontaires (intériorisations ou une “descentes”). Je sortais en pleures de Notre-Dame (mais en toute discrétion, je n’aime pas me faire remarquer !) et je me demandais, “pourquoi un tel effet” ?

Ce n’est que cet été qu’émergea dans ma créativité, cette vierge noire. Je la représentais dans un environnement fertile (ce qui n’est pas contradictoire avec l’imagerie des déesses chthonienne comme le prouve de nombreux mythes et contes, voir à ce propos la quête initiatique de l’héroïne). Je commençais à entrevoir une clé… et mon désir de la comprendre se raviva intensément. Comme toutes mes oeuvres hautement symboliques, j’ai eu envie d’en savoir plus. De comprendre ce qui sort de moi (et pourquoi maintenant, sachant que des mois ont séparé ma visite à Rocamadour de cette peinture).

 

Une origine possible

Comme souvent, j’achetais un livre (en fait le seul livre sur place dédié à ce mystère) pour en savoir plus, sur le but de sa création.

L’auteure de Vierges Noires, Sophie Cassagnes-Brouquet reprend la théorie de Frédérique Vialet (Une iconographie de la Vierge Noire du Puy). Ensemble, ils pensent qu’il y a bien eu à l’origine accident quant à la couleur des vierges. L’une des plus célèbres, la Vierge du Puy conserve en effet des archives intéressantes sur son évolution. Au XVe siècle, elle est dite”souillée”. Au XVIe siècle la voilà devenue “brunette”. Au XVIIe siècle, la voici tout à fait noire. Il semblerait, que suite à un noircissement accidentel (qui faisait trop “sale”) la décision aurait été prise de la peindre en noire.

Sa célébrité n’aurait pas été entachée (hahaha, le jeu de mot, c’est cadeau !) bien au contraire ! C’est à cause de son succès augmentant que les autres statues aux alentours s’obscurcirent à leur tour. Oui, il est hautement probable que d’autres vierges furent peintes pour profiter de l’effet mode…  un peu comme un “blackwashing” ? !

Difficile donc de trier le juste du faux ; de l’authentique ou du coup de pub sensationnel mené par les ecclésiastes médiévaux (les canailles !) Si les thèses et les hypothèses s’accumulent, c’est sans doute parce qu’il n’existe pas une même réponse pour toutes les Vierges. Nous ne pouvons donc pas, à priori, généraliser sur leur nature.

En plus, il existe des soucis de datation ! Certaines légendes du Ve siècle parlent déjà de l’aspect sombre de la demoiselle de Rocamadour. Or une datation scientifique la rapproche du XIIe siècle ! Alors, cette beauté du Lot serait-elle une copie d’une autre plus ancienne (disparue? détruite ?) En tout cas, celle-ci reste bien antérieure à celle du Puy… mais c’est à cause de son oxydation (elle est recouverte de plaques métalliques) qu’elle serait devenue sombre. Accident aussi ?

 

Qu’en dit l’Eglise ?

Si l’origine accidentelle est écartée (pour les Vierges antérieures à celle du Puy) nous pouvons donc nous dire que les commanditaires de ces oeuvres (les écclesiastes) les aurait demandé ainsi (toute noire) ! Après tout, nous sommes dans l’art médiéval. c’est à dire, qu’à cette époque il y avait une raison à tout et que TOUT était codifié ! Il y aurait donc eue une bonne raison de peindre en noire les vierges au départ.

La raison évoqué par l’Eglise ? Le Cantique des cantiques (ancien testament) :

“Je suis noire et pourtant belle, filles de Jerusalem”

Quoi ? Les prémices de la Vierge Sombre dans l’ancien testament (donc avant la naissance de Marie tout de même) alors là, oui, c’est très très fort !

Mais il y a des mythes qui font encore plus fort :  Saint Luc HIMSELF (l’évangéliste) aurait sculpter la Vierge de Rocamadour (et l’aurait fait de cette couleur car cela aurait été tout simplement en accord avec le modèle qu’il avait connu, soit la Vierge elle-même).

Bref, voici l’Eglise bien contente de ce phénomène au point de surfer sur la vague en en rajoutant des tonnes. Nous ne recevrons pas d’aide de compréhension de ce côté là…

 

DES différences – UN engouement

Toute une part de mythes et légendes englobe la figure de ces statues étonnantes, dont, il faut bien l’avouer, nous ne savons pas faire le tri (l’Eglise elle-même entretient les paillettes qui les entourent). Pour parler du symbolisme de la Vierge Noire, nous devons donc aplanir toutes leurs différences (nature, origine, plastiques, …) et nous intéresser uniquement à leurs point communs : Statues – Vierges – Noires – Célèbres.

La question finalement n’est pas de savoir dans quelles circonstances elles ont été peintes mais de comprendre ce qui a mené à un tel succès.

Ne traduit-il pas un besoin psychologique humain essentiel ? N’est-ce pas là une façon d’échapper à une religion qui n’arrive pas à apporter ce qu’elle promet (soit la grâce) ?

 

La psychologie des profondeurs

C. G. Jung, le célèbre psychiatre, est l’inventeur des archétypes, de l’individuation et de la première “carte d’orientation de notre psyché”. Il a découvert que notre inconscient détient les clefs pour nous permettre de trouver qui nous sommes. Et cet inconscient parle uniquement le langage symbolique.

Que symbolise alors cette couleur des Vierges si atypique : le noir ?

Pour cela, nous avons besoin de passer par l’alchimie, que Jung a utilisé comme base symbolique. La transformation du plomb en or est en effet une magnifique métaphore où l’or est le Soi. Tout le processus de recherche est donc une quête individuelle de soi-même. Et il commence par un stade très sombre : le stade noir.

La matière noire correspond à l’ombre de notre inconscience. Par exemple, cela coïncide avec une époque de vie où nous prenons conscience de notre division intérieure (la personne que nous affichons en société et notre part inconsciente) et que notre inconscient se compose lui-même d’un endroit “poubelle”.

Cet endroit, c’est là que nous avons rangé toutes les parts et personnalités qui n’étaient pas admises par la société, la famille, les amis… par toutes les communautés auxquelles nous voulions appartenir. Ainsi bien cachés à l’intérieur, notre part consciente l’a oublié.

Mais, ce n’est pas parce que notre Moi a décidé ne plus rien voir, que ce n’est pas là ! Et tôt ou tard, nous nous retrouvons confrontés à notre poubelle intérieure, que l’on peut voir comme une « putréfaction psychique », dont la couleur symbolique est… oui, le Noir.

Un archétype accidentel ?

Arrive un stade dans notre vie ou nous commençons notre travail intérieur de recherche de Soi… cela commence souvent par une crise existentielle ! Si l’on accepte de favoriser ce processus, alors les archétypes (type de personnalités inconscientes) se mettent à agir et à nous pousser instinctivement vers des images qui leur ressemble (en faisant surgir des émotions particulièrement fortes). Nous voici happée par des images !

Les Vierges Noires ne seraient-elles pas ainsi prise intuitivement pour une poussée naturelle vers la première étape de la connaissance de Soi ?

Un accident est-il tout à fait un accident d’ailleurs ? Ne correspond-t-il pas à une nécessité de l’époque : combattre l’hermétisme christianique (2 archétypes impossible à atteindre en Soi que sont Jésus et la Vierge Marie Céleste)? N’est-il pas temps de nous aider à évoluer grâce à un archétype que nous pourrions atteindre et qui nous montrerait la voie ?

Et ce, comme un écho face à un archétype déjà présent dans le passé à travers les Déesse chthoniennes ? Un archétype tout aussi noire et religieux ?

Soyons clairs : si les Vierges avaient accidentellement été roses bonbon ou jaune citron, auraient-elles connues un tel succès ? Y aurait-il eu un écho dans notre inconscient qui nous mène si naturellement vers le Soi avec les Déesses Noires d’orient ? Non ! Le hasard a rendu ces vierges noires et cette représentation a rencontré un terrain propice (germinatoire !) en chaque personne.

 

Les autres représentations chthoniennes

La Grande Déesse ne date pas de la naissance des Vierges Noires et n’est pas réservée aux civilisations orientales ! Du néolithique nous a été transmises de nombreuses Vénus aux formes généreuses, sur nos propres Terres Européennes.

Plus tard, les celtes prièrent Kerridwan (la Déesse sombre), Epona ou Belissima. Les druides avaient leurs Vierges de l’eau (aussi appelées les Vierges Gauloises). Mais la France a aussi importé et adopté les Déesses des romains conquérants (elle-mêmes empruntées aux civilisations grecques, égyptiennes et mésopotamiennes).

Ceci explique beaucoup la présence locale des Vierges Noires près de la Méditerranée (et son absence en Terre celtique : Normandie, Bretagne ou Angleterre !), tout simplement parce que cette couleur a définitivement parlé à l’inconscient des gens de ces régions, plus proches des pays latins.

Et des ruraux en particulier ! Les Vierges Noires apparaissent surtout en campagne… là où le culte des Déesses s’est certainement perpétuée le plus longtemps, puisque la préoccupation principale des gens de la terre est bien agricole et sans doute, les cultes associés à ceux de Déméter pour l’abondance des récoltes ont été encore vivaces au moyen-âge.

Déméter est en effet la Déesse de la culture. Elle est aussi la mère de Perséphone.

Le mythe de Perséphone en particulier nous intéresse ici, parce qu’elle permet de boucler la boucle ! La fille de Déméter fut enlevée par Hadès, Dieu du royaume sous-terrain. Cherchant sa fille partout, Déméter jura de ne plus s’occuper des récoltes tant que son enfant n’était pas retrouvé. La situation était si catastrophique à cause des famines, que Zeus s’en mêla, et s’il ne fut pas capable de faire revenir complètement Perséphone (elle avait mangé un fruit sous Terre) elle pourrait y revenir 6 mois par an !

On pourra comprendre la volonté de certains prêtres ou prêtresse de la Déesse Perséphone, de faire subir à ces statues le même sort que la belle : lui faire passer 6 mois par an sous Terre. A force, le bois des statues aurait pris la couleur noire de l’humus ! D’où son surnom de Déesse sombre et des représentations aussi noires que celles d’Isis.

Les statues d’Isis sont d’ailleurs curieusement proches des Vierges Noires : un trône, une couronne, un enfant sur les genoux et un teint d’ébène…

 

L’initiation féminine

Mais revenons à Perséphone et cette jolie légende de statues enfouies la moitié de l’année qui se colorèrent peu à peu. Certaines Vierges Noires auraient de même été découvertes sous Terre ou dans une Grotte (Vierge Noire de Monteserrat) et souvent par des animaux (Vierge Noire d’Orcival).

Au cous de mes recherches j’appris d’autant plus que le terme humilité provenait du latin “humus” = “terre” (1). Puis je tombais dans le texte suivant, son rapport à la Vierge : (…) la Terre-Mère, toujours vierge à cause de son humilité (…) (2). Le statut “Vierge” correspondrait non pas à l’absence de rapports sexuels, ni en l’absence de pêchés (thèmes qui nous éloignent tous de notre humanité finalement !) mais par son humilité et son rapport à la Terre.

Encore une autre façon de relier le Noir et la Vierge… j’en étais subjuguée ! Je décidais donc de rester sur le symbolisme de Perséphone, reine des enfers et je me retrouvais ainsi au coeur de ses mystères, car Perséphone est le symbole de l’initiation des petits mystères d’Eleusis. Elle est celle que suivent les mystes (hommes ou femmes) dans leurs propres profondeurs intérieures !

Les savoirs de cette initiation concerne les fondations de l’être humain, ses parts les plus proches de la Terre et les plus féminines soit donc : le corps, les cycles, les émotions et l’intériorité (l’inconscience, l’âme, l’instinct, l’intuition). Nous nous retrouvons bien loin des archétypes célestes de la chrétienté !

Ne serait-elle pas apparu accidentellement au moment le plus critique dans le dogmatisme religieux pour nous montrer une voie plus humaine pour aborder notre rencontre avec le Soi (si comme je le crois, le Soi correspond à la fois à l’illumination et à la voie du Christ) ? Après tout, seul un archétype sous terrain et donc matériel peut nous permettre d’accéder aux fondations de ce que nous sommes.

Au final, les Vierges Noires possèdent toutes les caractéristiques de la femme sauvage à laquelle je tiens tant…

 

Conclusion

Si son apparition est due à une coincidence, nul doute que la Vierge Noire a su faire résonner en bon nombre de nous des archétypes chthoniens. Parce que la noirceur de certains moments traversés devient en quelque sorte la mère d’une prise de conscience nouvelle (2). Comme si, remuer toute la vase sombre de notre être, conduisait à l’illumination.

Et finalement, sont-elles nées d’un pur hasard ? N’était-ce pas tout à fait nécessaire de vaincre l’hermétisme religieux de l’époque et de trouver de nouvelles voies, plus terrestres, à la découverte de Soi ? Ne manquait-il pas en effet un 3e archétype divin plus matériel et corporel aux côté de Marie et Jésus ?

De nombreuses femmes associent directement Marie-Madeleine à la Vierge Noire. Ne serait-ce pas une magnifique victoire du féminin ? A y regarder de plus près, ce 3e archétype existe bien dans le récit du Nouveau Testament sous la forme de cette femme qui a partagé la vie du Christ. Mais il a été écartée sciemment par l’Eglise… n’est-ce pas alors pas immensément drôle de la voir réapparaitre ainsi ? Par l’Eglise elle-même ?

Personnellement, j’adore son histoire sous cette forme : “la force douce” dont l’énergie revient pour continuer à faire véhiculer les savoirs ancestraux du féminin sacré, malgré tout ce qui a été dit, fait, par la religion elle-même. Et je ne peux nier la troublante relation entre les phénomènes de “descentes” des mythologies (Perséphone mais aussi Ishtar, Inanna, Cybèle, …) qui correspond à cette plongée à l’intérieur de la psyché à la découverte de soi et les Vierges Noires. Je les expérimente réellement à leurs côtés.

Ne seraient-elles pas alors de magnifiques muses médiévales initiatiques ? Toujours là, pour nous, femmes et hommes, civilisation après civilisations  ? La force douce ? La force du féminin sacré !

 

Petite statuette souvenir de la Vierge Noire de Rocamadour

 

 

 

(1) http://www.sagesse-marseille.com/lhomme-sage/psychologie/jung-et-lalchimie.html

(2) https://www.cgjung.net/alchimie/1995/mai.htm