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C’est qui l’plus fort ?

Aujourd’hui, j’ai tenté d’imaginer ce que pouvait bien voir ma cousine du haut de ses premières années : moi la faible me faisant mater par le fort. Un monde de dualité où soit on gagne, soit on est petite et on perd.
 
« Pas étonnant », me disais-je après cette réflexion, « qu’elle se soit rangée du côté du gagnant ».
 
C’est humain. C’est de la survie.
 
 
J’avais 4 ou 5 ans.
 
Mais je ne m’en suis souvenue que 36 ans plus tard. En pleine thérapie somatique.
 
Ce n’est pas revenu par bribes mais complètement. En une fois. Comme un gros pavé dans une flaque huileuse.
Les sensations. Les émotions. Le fait que personne ne ferait rien pour moi.
 
Lorsque nous étions seules avec mon cousin, il jouait à m’étouffer. Avec un coussin recouvert d’une création crochetée par ma grand-mère. Sa couleur m’est revenue en même temps que sa texture.
 
Car je hurlais la bouche ouverte. Et que ma langue rencontrait à chaque fois la laine. Les fleurs en motif.
 
Il devait avoir 14 ans à l’époque. Déjà grand. Lourd. Et fort.
Une gamine de 5 ans ne pouvait rien faire pour se libérer quand il me bloquait au sol et me mettait le coussin sur le visage. Mon visage.
 
 
 
 
J’enrageais de tout mon être alors que je mettais toute la force qui était en moi, dans mes muscles de gosse. Et que ce n’était pas suffisant pour me dégager.
 
J’entendais mes cris étouffés résonner dans ma tête. Et je l’entendais rire par dessus. Parfois je voyais des étoiles et le son devenait distant. J’étais loin loin loin.
 
Et avant que ce soit trop tard, il me libérait.
 
Quand ma grand-mère venait voir ce qu’il se passait (car ma rage me faisait me venger en le tapant ensuite – de façon sans doute ridicule – et qu’il me contrôlait avec une clef de bras) il lui disait qu’on ne faisait que jouer.
 
Ma grand-mère avait peur du conflit et du père de mon cousin (lui aussi grand et costaud !) Alors même si je criais par derrière que « c’était pas vrai ! », elle retournait dans la cuisine en faisant semblant de n’avoir rien vu. Rien entendu.
 
Il n’a jamais été puni. Il n’a jamais été ne serait-ce que disputé.
 
Alors il a continué dès qu’il en avait l’occasion.
 
J’ai sangloté en retrouvant la mémoire. Mais ce n’est que 3 mois plus tard que j’ai compris à quel point ce geste n’était pas normal. Et n’était pas un jeu. Car… j’avais fini par y croire.
 
Je regardais un film coréen hier. Et pour montrer à quel point le méchant de l’histoire était timbré, on le voyait en train d’étouffer son petit frère en rigolant.
 
Là, ça a tilté.
 
D’autant plus que je vois à quel point mon fils de 13 ans est fort aujourd’hui… alors qu’il est loin d’avoir la même carrure que mon cousin. Jamais je ne le laisserai jouer de la sorte avec des enfants de 5 ans ! 
 
 
 
 
Ma cousine était encore plus petite que moi. Je m’interposais quand il voulait jouer avec elle aussi. Et je prenais pour elle.
 
Aujourd’hui, ils sont extrêmement proches tous les 2 et je suis la folle qui a osé se détourner de la famille. 
 
Une décision prise avant même que je me souvienne de la texture de la laine sur ma langue.
 
Avant de retrouver en conscience la sensation de l’impuissance et de la peur de mourir.
 
Je savais qu’il lèverait le coussin à temps (en tout cas, les fois suivantes) et pourtant, il y avait une part de moi qui paniquait et devenait hors de contrôle. Une peur sans commune mesure, qui me transperçait les tripes comme un couteau finement aiguisé.
 
Et puis quand tout était fini, la honte. De ne pas avoir sû me défendre. De ne pas être assez forte. À 5 ans.
 
Quand j’en ai parlé à ma mère récemment, elle m’a demandé pourquoi je n’avais rien dit à l’époque. Tout simplement parce que personne ne m’écoutait. J’avais déjà imprimé à 5 ans que personne ne m’aiderait jamais.
 
Petite, je ne savais pas que ma grand-mère avait peur. Je pensais qu’elle ne me croyait pas et qu’il était son petit préféré. Même ma cousine, témoin principal de cette affaire et pour laquelle je me sacrifiais à chaque fois, n’a jamais parlé en ma faveur.
 
Un jour, il fût trop grand pour être gardé chez mes grand-parents et ce fût l’arrêt de mes tortures. Ma libération !
 
 
J’ai oublié pendant plus de 3 décennies, mais pas mon corps ni mon inconscient. Je paniquais quand on me mettais la main devant la bouche, même quand c’était mes enfants. Je ne pouvais pas jouer avec eux à faire des forteresse car si mon visage touchait le tissus, je cassais tout l’édifice pour m’en dégager d’urgence. Je faisais des rêves de noyades. Je devais résister à cette étrange montée de colère quand j’entendais mon fils dire qu’ils ne faisaient que jouer.
 
Désormais, tous ces petits détails et bien d’autres, font sens. Ma peur des espaces confinés. Mon asthme. Ma colère quand on veut m’aider. Pourquoi je faisais des pompes ! Et surtout, le besoin de tout contrôler pour ne plus jamais faire l’expérience de l’impuissance. 
 
Me souvenir et comprendre a été ma 2nde libération.
 
Alors oui, aujourd’hui j’ai cherché à regarder cette scène à travers les yeux de ce petit témoin, qui me voyait être étouffée par un adolescent déjà costaud pour son âge, qui soulevait des poids dans sa chambre parce qu’il avait décidé surement, de ne jamais plus ressentir de faiblesse lui non plus. Elle qui regardait ça avec des yeux d’enfant puisqu’elle n’avait pas plus de 4 ans… face à ce qu’elle a vu, comment ne pas vouloir se détacher de la faiblesse ?
 
Je la vois des années plus tard, rire avec ceux qui me critiqueront sur mon physique ou parce que je me suis trompée de mot. La voir tenter de me faire me remettre avec le plus toxique de mes ex. Soutenir mes abuseurs.
 
Il y a la douleur de vivre l’expérience traumatique mais il y a aussi le reste. La souffrance de ne pas être cru, vu et entendu. Et la peine de voir les autres soutenir ceux qui ont généré la sensation que je n’étais rien.
 
Pas étonnant que le cerveau foute toute l’histoire dans un coin inaccessible ensuite…
 
Les romans et le cinéma nous font croire que les gentils gagnent. Dans la nature, non. Dans la nature les gens se rangent du côté des plus forts pour être protégés. 
 
Dans la nature, les gens ne soutiennent pas les victimes non plus. Il faut être émotionnellement fort pour cela et avoir connu une enfance équilibré. Ou avoir été victime soi-même. De nos jours, ils vendent leurs heures de compassion et de soutien. 
 
Pour les forts, le soutien c’est gratuit.
 
On ne pense pas à la douleur de les entendre théâtralement dire que la vie est difficile avec eux. Se faire plaindre encore et encore… alors que jamais une victime ne se montrerait sous cet aspect de faiblesse.
 
Au contraire, elle exècre cela de toute son âme.
 
 
Et ce matin, alors que je conduisais, je me suis demandée « mais attend, avec tout ce que j’ai vécu, cette cousine s’est-elle vraiment rangée du côté des plus forts ? »
 
Les muscles et le poids a peut-être fait gagné à mon abuseur une lutte physique injuste de quelques minutes. Mais moi je vis sous le poids de la faiblesse et de la honte depuis toutes ces années. Des années d’enfance constructrices.
 
Peuvent-ils imaginer la force de caractère qu’il faut pour se montrer dans les réunions de famille dans ces conditions ? Et en sachant d’avance qu’on s’en prendra plein la tronche ? Parce que oui, l’abuseur continue de jouer à montrer la force qu’il exerce sur l’autre, en se moquant de lui ouvertement. Et le silence lourd de tous ces témoins qui jamais ne lui disent d’arrêter et de la fermer.
 
Qui peut imaginer l’énergie dépensée pour avancer malgré le poid de ce fardeau qui reste, seconde par seconde?
 
Avec, bien entendu, une maladie chronique handicapante à gérer… bonus gratuit allant avec le pack « enfance traumatique » !
 
Oui parce qu’il n’y a pas que ça. J’ai grandi dans un le foyer d’un parent alcoolique. Double bonus ?
 
Le tout servi enrobé de valeurs personnelles strictes, car non, jamais je ne me résoudrais à faire du mal à quelqu’un. Oui, cela m’impose de devoir toujours prendre la route la plus longue, la plus difficile parce qu’on se tient cette promesse à soi, que tant trouve stupide : celle de ne jamais faire vivre à autrui, la douleur causée par un besoin égotique d’avoir le pouvoir sur quelqu’un.
 
De résister à toutes les opportunités de vengeance.
 
De ne jamais tomber dans la facilité d’écraser quelqu’un pour se sentir exister alors que la colère monte.
 
 
Oui, il a tenu bon quelques minutes sur une gosse de 5 ans sans puissance musculaire et en la faisant taire. Waouh !
 
Moi j’ai tenu bon 40 ans sous le poids d’une empreinte qui me faisait croire que je pouvais être aggressée à n’importe quel moment. 
 
Par n’importe qui. 
 
Même ceux qui disent qu’ils vous aiment.
 
Moi, j’ai vécu chaque journée d’une vie avec l’empreinte du traumatisme et le poids du manque du moindre soutien ou justice.
 
Une succession de minutes, de semaines et d’années à se battre contre ses démons intérieurs qui nous empêchent de goûter à la paix.
 
À puiser dans un puit de force sans fond pour se relever continuellement, sans coup de main ou 15 personnes accourant quand on les siffle… mais au contraire : sous les remarques négatives et destructrices masquées sous forme de blagues. Les maltraitances morales de tout genre.
 
 
 
 
 
Voilà le véritable visage des fameuses victimes !
 
« Faibles » ?
 
Oh non, je ne crois pas non.
 
Cela me déclenche un fou-rire.
 
Pardon. Excusez-moi ! 
Oh oui, ça aussi… je m’excuse pour un rien. Comme si j’étais de trop. Peut-être que le jeu de presque me tuer, à mis ça dans ma tête. Va savoir ?
 
En tout cas, oui je ris.
 
Je ris de la réalité vraie, en comparaison de la façade et des croyances.
 
Parce que finalement, j’ai compris : c’est moi la plus forte des trois.
 
 
 
 
 
 
 
Et ça, mon cerveau ne l’oubliera pas.
 
Note –> toute ressemblance des personnages fictifs de cette histoire avec des personnes vivantes, n’est que pur coincidence.
 

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