Les souliers rouges

Dans la quête initiatique de l’héroïne, je m’appuie sur le conte de la jeune fille sans mains, pour montrer comment une femme inexpérimentée se réalise progressivement.

Au début de l’histoire, alors que son père a sacrifié les mains de l’héroïne, celle-ci se trouve devant un choix : rester et vivre dans le confort (puisque ses parents sont désormais riches) ou fuir.

Mais que ce serait-il passé, si son choix avait été différent ? Si elle était restée ?

Le conte « les souliers rouges » nous en donne une idée précise !

 

 

 

Il existe plusieurs versions de ce conte. Notamment la rencontre avec la vieille dame, qui se fait dans la version de Andersen, à l’enterrement de sa mère. C’est une partie retravaillé de l’histoire, qui explique pourquoi une jeune fille peut partir ainsi loin de ses parents. A l’origine, elle n’est pas orpheline, d’ailleurs, c’est elle-même qui confectionne ses chaussures rouges.

Et un jour elle s’en va en forêt. C’est là qu’elle se trouve sur le chemin du carrosse et décide de monter (parents ou pas !)

A cet instant, elle fait le choix contraire de la jeune fille sans mains. Elle voit un magnifique carrosse, avec de belles promesses de richesse et de confort. Que faire ? L’une choisit le confort, l’autre l’aventure.

Mais ne la condamnons pas si vite ! Nous sommes nombreuses, dans la vie, à faire ce choix. Surtout à de tels âges. Nous faisons confiance aux autres, à nos parents, pensant qu’ils en savent mieux que nous ! Parfois même, qu’ils nous connaissent mieux que nous-même ! Nous nous fions à eux quand ils nous disent de nous orienter vers telles études, faire tel mariage, … nous choisissons un avenir confortable, plutôt que d’aller vagabonder.

Rares sont les femmes capables de se connecter à leurs instincts pour contrer le diable et ses promesses (comme la jeune fille sans main). A la place, nous tombons en grande majorité, dans le piège.

Et que se passe-t-il alors ?

La vieille brûle nos souliers.

 

 

 

Ces chaussures qui nous rendaient si heureuses, bien que laides, celles que nous avions fabriqué de nos mains. Symboliquement, ce sont elles que nous sacrifions, à grand coup de hache. Nous sacrifions notre créativité, notre don de naissance. Que ce soit pour étudier, travailler, viser un poste mieux payer, élever nos enfants, etc.. nous abandonnons bien souvent nos passions. Nous coupons nos mains.

Horrible non ? Et comment réagissons-nous le plus souvent ?

Nous ne faisons rien.

Comme la fillette des souliers rouges, nous accusons le choc et acceptons le prix à payer. Nous nous soumettons à la sentence sans nous rebeller, sans hurler, sans griffer et cracher.

Mais ne soyons pas dupes. Nos souliers, nos dons, nos passions vont nous manquer. Le manque va nous ronger à l’intérieur.

A tel point, que lorsque nous apercevrons des artefacts de souliers rouges, nous nous jetterons dessus. Pire ! Au lieu de faire les choses comme il faut, de dire à la vieille dame que ces souliers sont rouges, que nous les voulons et tant pis si ça la fâche, tant pis si elle nous dépose en carrosse en pleine forêt, nous les prenons à son nez à sa barbe.

Nous feintons. Nous voulons ET les souliers ET le confort. Nous agissons dans l’ombre.

Clara Pinkola Estes assimile cette acquisition au besoin de nourrir l’âme de la jeune fille. Mais elle finit par lui donner des miettes au lieu de lui servir un grand banquet.

Puisque des miettes ne nourrissent pas, l’âme se trouve dans état de faim si intense, que les souliers rouges, pris par erreur pour les souliers du début, deviendront une obsession : elle ne voit plus qu’eux. A l’église, elle n’écoute pas. Elle ne pense qu’à eux. Au moment de la mort de la vieille dame, seules les chaussures comptent !

Voilà ce qu’elle gagne à agir dans l’ombre et le mensonge : une obsession.

 

 

 

Les occasions ne sont pas rares pour elle de crier enfin son besoin d’exprimer sa créativité. Pourtant elle s’obstine à vivre sa passion en cachette, en ne lui donnant pas tout l’espace nécessaire. Non exprimé, son besoin créateur tourne à l’obsession. Elle se jette alors sur ce qu’elle trouve, à l’excès.

Et ce qui doit arriver, arrive : les souliers deviennent maudits et la font danser. Heureusement, la première fois, elle parvient à être sauvé. Comme un coma éthylique auquel on réchapperai. Comme une overdose à laquelle on survivrai.

Malgré ce premier avertissement, elle reprendra une dose de souliers rouges… et cette fois, elle ne sera pas sauvée.

 

 

 

Lorsque nous décidons de ne pas vivre notre passion, nous nous retrouvons dans un état de faim insatiable. Notre âme a besoin de quelque chose que nous ne lui fournissons pas, ou trop peu. Nous avons peur de la nourrir en pleine lumière et de risquer de tout perdre.

Alors nous courrons un autre risque, celui de prendre des faux souliers rouges pour des vrais : nous nous lançons dans des nuits avec amant sans lendemain, plongeons dans l’alcool. D’abord, cela est très très innocent. Nous nous autorisons un tout petit peu de ceci ou cela, un tout petit verre pour nous sentir vivante, et parce que demain nous ne pourrons certainement plus le faire… et peu à peu, nous devenons accroc.

Si notre perte arrive de façon sûre à la fin de l’histoire, il reste que nous avons de nombreuses occasions de tout arrêter.

Et de nous demander, ce que ces excès comblent en vérité…

 

 

 

A votre tour ! 

  • Quels sont vos vrais souliers rouges ? Vos passions ? Si rien ne vous vient (cela arrive très souvent !) tentez de vous souvenir de votre début d’adolescence… que faisiez-vous pour le plaisir à cette époque ?
  • Quels sont vos faux souliers rouges désormais ? Alcool, drogue, aventures… oui. Mais il en existe bien d’autres : le sucre, le café, la télé, les médicaments. Voir même des activités qui ont l’air tout à fait bénéfiques comme le jardinage, le bricolage, … ils sont bons lorsque ce sont NOS VRAIS chaussures, pas lorsque nous les utilisons comme substituts. 

 

 

 

Note très personnelle.

J’ai écris ces lignes pour plusieurs raisons. A la fois par une grande fascination face aux implications de nos choix, de la résonance qu’il existe entre différents contes, ET parce que ma famille a été touché à plusieurs reprises par de faux souliers rouges qui ont mené des êtres chers à leur perte.

Bien que nous ayons été tous témoins et attristés de bien des danses mortels, aujourd’hui, nous devons vivre avec mon papa qui a, à sont tour, trop dansé… il a été sauvé (d’un arrêt cardiaque puis d’un coma) mais en demi mesure. Atteint du syndrome de Korsakoff (atteinte au cerveau avec manque de mémoire instantanée, perte d’orientation dans le temps et l’espace, violence, …)  il doit également se battre contre un cancer.

En France, nous continuons de faire la publicité de l’alcool alors que ses méfaits sont connus, et reconnus. L’alcool fait partie de notre terroir me dit-on. Qu’en serait-il si notre terroir était couvert de marijuana ? De pieds de tabac ? Sacrifierions-nous également la santé au profit de bénéfices économiques que rapporte notre production locale ?  Bien entendu ! Ne soyons pas comme ces jeunes fillettes bien innocentes. Les pièges sont partout ! 

Nous pouvons rejeter les fautes sur les autres, la société, la publicité… or nous nous soumettons à eux, comme la fillette qui décide de monter dans le carrosse, puis de se taire, encore et encore et encore.  

En tout cas, les faux souliers rouges font bien des dégâts. Que ce soit aux jeunes filles qui ne cessent de danser, ou à ceux qui partagent leurs vies. Malgré la ferveur à vouloir aider nos proches à se déchausser, nous ne pourrons jamais agir à leur place et décider de mettre fin à une obsession. 

Mais nous pouvons, nous-même, montrer comment nous nous défaisons des nôtres. « Sois le changement que tu veux voir », n’est-ce pas ? Mais oserons-nous ?